vendredi 12 juin 2009

Les parents peuvent toujours attendre

Par Michael De Pasquale, Chantal Tauxe

Cette semaine, les familles désespérément en quête d’une crèche, d’une garderie ou d’une cantine vont pouvoir méditer l’adage: les promesses électorales rendent les fous joyeux. Ce jeudi 19 mars, au lendemain du débat urgent sur la crise bancaire, le Conseil national va, selon toute vraisemblance, enterrer l’obligation pour chaque commune d’offrir des structures d’accueil extrafamilial et extrascolaire dignes de ce nom. En Suisse, l’urgence de venir en aide aux familles, de prendre soin des bébés comme des écoliers en dehors des cours, n’est pas une urgence comme les autres.
Tout avait pourtant bien commencé. Lors de la session d’automne 2005, cinq parlementaires (radicale, socialiste, démocrate-chrétienne, Verte et même UDC) avaient déposé une demande de modification de la Constitution obligeant les cantons à veiller à ce que les communes fournissent un accueil extrafamilial et extrascolaire «adéquat». Avec la collaboration du privé et sous la bienveillance de la Confédération si nécessaire. Pas moins de 102 parlementaires s’étaient ralliés à la proposition, la promesse que, cette fois, les familles obtiendraient satisfaction.
Las, le joli coup concocté par Jacqueline Fehr (PS/ZH), Christine Egerszegi (PRD/AG), Kathy Riklin (PDC/ZH), Ruth Genner (Verts/ZH) et Ursula Haller (UDC/BE) a perdu de son impact dans les méandres des travaux parlementaires. La Commission de la science, de l’éducation et de la culture a consulté des experts, mégoté beaucoup pour finir par accoucher, en août dernier, d’une recommandation de classement. Pas besoin d’article constitutionnel, avance sa majorité, le concordat HarmoS, accepté par le peuple en 2006, prévoit que les cantons se chargeront d’assurer l’accueil extrascolaire.
«Pour ma part, je voulais maintenir la modification constitutionnelle, afin d’avoir un effet plus direct sur la création de crèches et l’accueil parascolaire, explique Jean-François Steiert (PS/FR), membre de la commission. Le problème dans HarmoS, c’est qu’il s’agit d’une disposition générale peu claire, avec une faible dimension contraignante. Alors qu’un article constitutionnel aurait donné un effet plus contraignant.»

Conscience tranquille. La conscience tranquille, la commission se contentera de demander au Conseil fédéral de prolonger ses crédits de subventions à la création de nouvelles crèches. En six ans, cette aide fédérale a permis de créer 22000 places. Un résultat appréciable mais très insuffisant, si l’on veut bien considérer les vrais besoins. Selon les chiffres publiés en février dernier par la Commission fédérale de coordination pour les questions familiales (COFF), il manque 120000 places d’accueil extrascolaire. Dans les classements de l’OCDE, la Suisse est une mauvaise élève. L’Autriche consacre trois fois plus de moyens et le Danemark dix fois plus. Selon le COFF, 40% des enfants entre 7 et 14 ans seraient laissés à la maison sans surveillance.
Sans obligation constitutionnelle, peut-on espérer que communes et cantons se décident à répondre aux besoins des familles? L’Hebdo a sondé plusieurs communes romandes pour faire le point. Si, dans la plupart des villes, à l’instar de Lausanne et de Genève, le problème a été sérieusement empoigné de longue date, certaines collectivités plus petites ont eu parfois de la peine à fournir une donnée de base: le nombre d’enfants potentiellement concernés par classe d’âge…
Un préalable à toute appréciation des besoins. A la suite du Conseil européen de Barcelone en 2002, les milieux de la petite enfance estiment qu’une couverture satisfaisante des besoins est assurée lorsque un tiers des moins de 3 ans dispose d’une place dans une crèche. A partir de 3 ans et jusqu’à l’âge de la scolarité obligatoire, 90% d’une classe d’âge devraient pouvoir être pris en charge. A qui voudrait contester la pertinence de ces standards européens, il faut rappeler qu’en Suisse les trois quarts des mères d’enfants de moins de 15 ans travaillent. A cette aune-là, peu de communes obtiennent un satisfecit.

L’exemple vaudois. La balle reviendra donc aux cantons. Vaud l’a déjà saisie. Une Fondation pour l’accueil de jour des enfants (FAJE) y a été instaurée en 2006, sous la présidence de Doris Cohen-Dumani, ancienne conseillère municipale lausannoise. Son travail suscite l’intérêt d’autres cantons.
Avec le concours de fonds privés et publics, la FAJE a pour mission de créer 2500 places d’accueil supplémentaires d’ici à 2011. L’objectif promet d’être dépassé avec 3000 nouvelles possibilités. Partout dans le canton, la FAJE, en collaboration avec les communes et les entreprises (notamment Nespresso, Nestlé, Hublot, l’EPFL) a recensé les besoins et favorisé l’émergence de 28 réseaux; 345 communes se sont ralliées à la démarche, alors que 27 autres représentant 8500 habitants, essentiellement dans le nord du canton, ne se sont pas senties concernées. Le taux de couverture moyen sur le plan cantonal passera ainsi de 12,3 à 15,3%.
Le travail de terrain de la fondation a «libéré la parole des parents», constate Nuria Gorrite, syndique de Morges, impliquée dans le réseau développé dans sa région. Une autre manière de souligner que, en matière d’accueil des enfants, l’offre génère la demande. La Ville de Lausanne offre dans chaque quartier un accueil extrascolaire en fonction des besoins. «A chaque rentrée, il faut ajuster le dispositif à la hausse, explique Oscar Tosato, conseiller municipal en charge de la Direction de l’enfance, de la jeunesse et de l’éducation. Pour les tout-petits, malgré les ouvertures de nouvelles structures, il manque toujours 700 places.». Même dans les communes les plus volontaristes, les parents n’ont pas fini de s’inscrire sur des listes d’attente. COLLABORATION Tasha Rumley

L'HEBDO Edition du 19.03.2009